La traversée de la nuit : [DISCLAIMER : SENSIBLE (addiction, dépression, …)]

Samuel

MPSI / MP* au lycée Charlemagne

Télécom Paris

Samuel, ancien élève du lycée Charlemagne, partage son témoignage sincère sur sa difficile traversée en classe préparatoire. Entre addiction aux réseaux sociaux, perte de motivation et remise en question, il raconte comment il a persévéré malgré des moments sombres, finissant par intégrer Télécom Paris. Ce récit émouvant dépeint la lutte personnelle que beaucoup d’étudiants vivent en prépa, souvent en silence, et témoigne de la ténacité nécessaire pour avancer.

Un parcours entre lumière et ténèbres : lutter contre l’addiction pour réussir en prépa


_____Je sortais du lycée avec une consommation excessive d’internet et l’envie d’arrêter sans pouvoir m’en passer. J’avais quitté Instagram mais restais sur YouTube à cause de vidéos intéressantes, utiles, nécessaires. Je scrollais déjà souvent jusqu’à 1h du matin. À la même occasion, je grignotais, et j’éclatais par habitude mes quelques boutons d’acné. Ou alors je voulais commencer à faire du sport, mais j’avais déjà bien trop de choses à gérer et je n’arrivais pas à m’y tenir.

_____Tout cela est très important car j’ai passé durant ces 3 ans beaucoup plus de temps à mener ce combat symbolisant mon impuissance : je ne maîtrisais pas ma “motivation”, mon addiction. J’éluderai sans doute ici plein de problèmes sous-jacents.
L’addiction à mon téléphone empirait, car elle m’avait privé de temps de travail, donc travailler devenait plus dur, scroller était une échappatoire – malsaine, bien sûr, mais le cercle vicieux commençait.

_____À vrai dire, je crois qu’il a commencé parce que je ne faisais que lire mon cours sans faire d’exercices, ainsi, un certain cycle de récompense était brisé : je n’avais pas de satisfaction à travailler, résoudre des exercices m’en aurait apporté. Je pensais que les autres travaillaient à la “motivation”, et je voulais progresser, sans en avoir l’envie – ce qui est logique si ça ne m’apportait aucune récompense, ni pour l’ego, ni pour la curiosité.

_____Et je me noyais dans le tsunami, ce que je comprendrais bien plus tard comme “La traversée de la nuit”. Quand on arrive en prépa, on commence bien souvent par ne pas progresser, ne pas sortir du tunnel, sortir la tête de l’eau, se détacher du peloton, ou ce que vous voulez. Pour progresser, il faut s’exercer, travailler, mettre ses capacités au défi. Et selon la manière dont vous travaillez, cette traversée de la nuit peut donc durer des jours, des semaines, des mois…

_____Je n’avais aucune idée de tout cela, et sans que je le remarque, j’épuisais toute mon énergie; j’écrivais chaque jour des notes pour m’améliorer, je me renseignais sur les méthodes, et je suranalysais au lieu de bêtement (au sens de “tout simplement”) travailler sans réfléchir. Je pensais que les autres travaillaient à la “motivation”, alors que les mois de traversée de la nuit étaient venus à bout de la mienne, alors que les autres étaient sortis en quelques semaines. J’y mettais toute mon âme, mais pas assez de mon travail, car je suis rarement “motivé” par quelque chose qui ne me stimule pas, et la prépa était une épreuve car je n’avais jamais travaillé pour l’école. C’était une tâche pénible, bien loin d’être une passion, c’était une corvée.

_____Ainsi, le stress montait – aussi car j’étais déterminé à réussir, focalisé sur cet unique objectif – et le téléphone le soulageait, mais ne réglait rien, ou bien je procrastinais. Je m’en voulais tellement de ne pas arriver à contrôler ma motivation, je commençais à douter : en étais-je capable ? Est-ce que la prépa était faite pour moi ? Je m’en voulais tellement d’imaginer de nouvelles techniques, de faire des plannings, des méthodes, et de ne pas les tenir. Bien évidemment la prépa me débordait, j’étais en retard, paniqué à l’idée que cela scellait déjà mon échec sur deux ans – et ce à peine en décembre ! Personne ne m’avait expliqué ce qu’était la prépa, je ne savais pas qu’en deux mois de vacances d’été je pourrais rattraper toutes les lacunes que j’accumulerais bientôt tout au long de ma première année.

_____Et proche de Noël, je me rappelle un “craquage”. Je n’abandonnais aucunement, c’était impossible, et si je m’y étais autorisé ç’eût sans doute été moins difficile, mais je me rappelle avoir beaucoup pleuré au téléphone avec mon père, sans pouvoir m’arrêter. C’était la seule fois depuis bien longtemps.

_____Et puis j’ai continué. Pas assez de temps, pas assez de “motivation” (d’intérêt, en fait), trop d’exigences envers moi-même. Je n’arrivais pas à traverser la nuit, je n’arrivais pas à comprendre ce qui manquait.

_____J’étais mon sauveur et mon bourreau : j’alliais une volonté de fer de réussir, avec un désintérêt profond : tout à la fois cela m’empêchait de travailler les mathématiques par amour des mathématiques et mettait en avant une résilience extrême dont je me rends seulement compte maintenant, qu’aucun autre élève que j’ai rencontré n’a jamais eu – car pourquoi s’infliger cette épreuve absurde ? Eh bien, car j’abhorrais la défaite. Kobe Bryant et l’impression qui m’avait hanté pendant trois années de lycée de “gâcher mon potentiel” m’en avaient assez dégoûté.

_____J’ai travaillé deux ans dans cet enfer, je ne suis jamais devenu bon, fort. Ou plutôt assez bon, assez fort, j’étais médiocre, je ne suis jamais devenu satisfait. Je n’étais pas le seul, mais tous ceux qui gravitaient autour de moi, que pourtant j’essayais de motiver à travailler, à se dépasser, ne venaient plus en cours, partaient dans un lycée moins bon, en PSI, à la fac, abandonnaient, même en deuxième année : tous plus déprimés du temps qu’ils partageaient ma classe, ils tombaient comme des mouches. C’est sans doute mieux pour eux.

_____La suite de la sup n’a pas été rose : quand je commençais à décoller, une sale affaire a conduit à de la triche dans ma classe. Je ne pense pas qu’il faille le taire, les professeurs et élèves le savent. J’ai eu une très bonne note sans tricher, mais presque tous, même les plus faibles, ont eu en trichant une meilleure note. La nuit aurait dû finir, mais elle a continué.

_____La fin de l’année rimait avec lassitude, je menais le même combat sans énergie et sans lucidité, tandis que le reste de la classe tendait lentement vers la torpeur (et le “chômage” d’après mes notes), ce à quoi mes professeurs n’aidaient pas.

_____J’ai passé mes vacances d’été, comme déjà beaucoup de mes vacances, de mes week-ends, à penser à la prépa, à stresser, sans rien y faire, et à scroller sur mon téléphone jusqu’à des heures indues, ruinant mon sommeil. Je m’en voulais tellement de ne pas arriver à contrôler cette addiction, alors que “c’est justement ça le concept” (Lomepal, Crystal). Ce n’était pas que le stress, c’était la culpabilité. Vous vous en doutez, je n’en parlais pas à mes parents, c’était trop épineux, ils ne comprendraient pas. Mes potes, eux, ne comprenaient pas l’addiction, que ce n’était pas une question de volonté. Ils m’en voulaient d’annuler les plans, ils ne pouvaient pas deviner ce que je vivais : il y a, comme dans toutes les difficultés, addiction ou autre, la honte d’en parler.

_____Dans mes notes de la rentrée, j’écrivais des choses comme “Comment dire ce qu’il se passe ? C’est comme être deux” ou “être à la fois si déterminé et désintéressé”.

_____Alors il y avait des éclaircies, non pas qu’on mette un masque de clown le jour, mais la journée aide à être plus serein, toujours motivé à changer les choses et devenir meilleur. Et puis il y a les soirs, où on se couche à cinq heures, sans avoir rien fait de la journée, parce qu’on n’a pas contrôlé son addiction, bien qu’on y ait pensé toutes les 20 minutes entre deux vidéos, mais qu’on préfère ça à l’angoisse du travail. Le temps passe, et l’angoisse culmine alors ; pour ne pas affronter ses pensées, on s’abrutit au contenu audiovisuel jusqu’à ce que la fatigue, à cinq heures, nous épargne ce combat.

_____J’ai commencé à dormir en cours. C’était les cours de mathématiques, le matin ; mon pote avait commencé à ne plus venir, donc j’étais seul, au fond de la classe. Et je dormais deux heures, et puis je dormais quatre heures, et puis je faisais ça tous les matins où j’avais mathématiques. Je ne voulais pas sécher les cours comme tous mes potes qui lâchaient la prépa, et je ne me rappelle pas que mon prof m’ait parlé du fait que je dormais, il ne faisait pas attention, et peut-être y a-t-il d’autres raisons qui n’importent pas ici.

_____Tout semblait comme avant, j’étais débordé par la prépa, bien conscient de l’échec mais jamais résigné, avec mon mode de vie bancal. Mais vu de l’extérieur, on ne s’étonnera pas d’apprendre que sans compter mes amis qui ne venaient plus en cours, j’étais dernier de la classe, en maths et en physique. Et j’ai continué à me tuer la santé, à l’addiction, à la culpabilité, je m’en voulais tellement de ne pas arriver à contrôler cette addiction, de ne pas me débarrasser de ce problème, de ne pas gagner la prépa, de ne même pas commencer à gagner – même si à bien des égards je progressais sans le voir.

Je m’en voulais tellement de ne pas traverser la nuit.

_____Je ne prenais pas assez soin de moi, mon estime de moi était au plus bas, au point que je n’essayais pas de parler aux autres, moi qui suis pourtant si extraverti (je l’étais au lycée et le serai en 5/2), je me refusais à parler aux filles qui me plaisaient, je mangeais seul pour éviter la queue, puis aller travailler, je rentrais chez moi, et je luttais ! Je ne chômais pas, mais je dépensais bien plus d’énergie à lutter contre le stress, l’angoisse, la culpabilité qui nourrissaient mon addiction qu’à travailler, et je sombrais. Parfois pas pendant le travail, mais au moment du coucher, je me laissais happer pendant des heures, et au matin je dormais en cours.

_____Je ne connais personne qui ait autant laissé tomber tout en refusant d’abandonner. Je luttais comme la chèvre de monsieur Seguin, chaque jour je reprenais le combat, et non comme un bagnard : je brûlais d’une flamme de vengeance, je travaillais, tout le poids de ces démons sur mes épaules, à rectifier ma médiocrité. Et je laissais tomber, comme un Sisyphe inachevé, ce rocher trop lourd en bas de la montagne, et je recommençais, refusant d’abandonner. Sur le chemin, je me détestais moi-même de ne pas pouvoir traverser la nuit, comme si c’était en mon pouvoir. C’était l’hiver de ma spé, la partie la plus froide, la plus noire de la nuit. Sur le chemin je me répétais, parfois des dizaines de fois par jour, que j’étais vraiment une merde. **J’étais vraiment une merde de ne pas pouvoir traverser la nuit.**

_____Et ça a été la deuxième fois de la prépa que j’ai pleuré, j’ai pleuré seul, assis sur mon lit, j’ai pleuré dans le noir, face à Paris noyé dans la nuit. Je ne peux pas dire pourquoi j’ai pleuré, ce n’est pas moi qui pleurait, c’était mon corps.

_____Ça a été une des autres rares fois. Et je ne suis pas allé chez un médecin, je ne suis pas allé chez un psy, et je n’ai pas quitté la course, mon combat dans la prépa et contre la nuit – plutôt que dans la nuit et contre la prépa. Et je n’ai pas mis de mots dessus, mais cet état était bien bas, j’espère que vous n’irez jamais ni aussi bas ni plus bas.

_____Mais j’ai continué à avancer, j’ai fini ma 3/2. Le calme est un peu revenu, j’avais des bons résultats, nullement mérités à mes yeux, je suis allé jusqu’à quatre places de l’ENSIMAG, que j’envisageais, tout s’est peut-être joué là. Je contemplais mon combat comme Ashitaka contemplant sa plaie dans Princesse Mononoké, ne sachant pas si elle partirait. J’ai eu un dialogue de sourd avec mon père, j’ai pleuré. Je ne sais même pas vous l’expliquer, on ne pouvait pas se comprendre, il ne voulait que mon bien et ma réussite, mais il ne pouvait pas comprendre, et je ne savais pas l’expliquer. Ma mère a pleuré aussi à l’idée que je parte dans une autre ville intégrer mon école.

_____Et puis j’ai rempilé. Parce que je suis borné. Je ne suis pas le personnage principal, il n’y aurait aucune splendeur à dire “parce que je n’arrête jamais”. Mais j’ai fait signer un contrat à mes parents : on ne se comprend pas, ça ne m’aide pas, donc je leur ai demandé d’arrêter tout ce qui me nuisait chez moi. Ici, je précise que ni eux ni moi ne sommes des tyrans ; je leur ai juste demandé de ne plus parler de la prépa et d’autres choses qui me stressaient, et sinon je serais parti intégrer sans rancœur. Aujourd’hui, nous nous entendons très bien. Mais oui, j’ai fait ça. J’ai été jusqu’à faire signer un contrat à mes parents pour “gagner” la prépa. Pour gagner ce combat de m*rde.

_____La suite est moins épique. J’étais plus lucide sur certaines choses ; je ne savais pas si je régulerais mon addiction, mais la 5/2 a été beaucoup plus facile. Bien que mon socle de ces deux années ressemblât à un gruyère plein de trous, le redoublement procurait une avance qui me permettait d’obtenir de bons résultats, ou surtout d’aller plus loin dans les devoirs, d’avoir du temps, de finir des devoirs maison, de comprendre des choses laissées de côté. J’étais, lentement mais sûrement, en train d’éclore. D’autant plus que je ne démordais pas de mon obstination : conscient des défauts de ma 3/2, j’avais socialisé avec toute la classe dès mon premier jour – imaginez que les spé m’étaient tous inconnus, et même les 5/2 que j’avais côtoyés un an, en fait – et j’ai eu la chance de revenir dans une classe formidable, où j’étais à l’aise, et qui fourmillait d’élèves joviaux et travailleurs.

_____J’ai travaillé méticuleusement mes points faibles, bien qu’au début j’eus du mal à reconsidérer les sciences sans inconfort ; et les efforts que j’ai mis en langues, étudiant, classant, analysant et reprenant mes erreurs, ont porté leurs fruits : de plus en plus au long de l’année, et encore plus aux concours. En informatique, je révélai ce que je laissais entrevoir en 3/2. En mathématiques, je progressais presque naturellement, et en physique, j’obtenais des résultats bien plus encourageants, même si je n’ai jamais vraiment cassé mon plafond de verre par manque de temps et de cours.

_____J’étais étonné de ma progression en mathématiques, sachant que je faisais bien moins d’exercices que les élèves les plus travailleurs de ma classe, que j’avais bien sûr pour objectif de dépasser, mais cela ainsi que mes notes m’ont rendu bien sceptique sur mes futures intégrations. En semaine, je travaillais autant qu’eux, jusqu’à la fermeture de la bibliothèque le soir à 22h, ou parfois à 21h ; je venais dès le matin, une heure avant le début des cours, et 30 minutes le midi, sauf si je courais à la place, sur la moitié de mon créneau repas. Les week-ends et vacances étaient bien moins consommés par mon addiction, mais un certain scepticisme, une lassitude, voire un découragement ont fait que je n’ai pas rentabilisé plus de 65 % de mes révisions pour les écrits (65 % de plus que l’année précédente).

_____Je me suis couché une fois à 5h à cause de ce maudit problème le week-end des écrits précédant le concours Centrale, ce qui m’a fatigué bien plus que je ne l’aurais pensé et m’a été dommageable ; je ne fus pas admissible à Centrale Supélec, à une vingtaine de points près. Alors j’ai repris la préparation des écrits en travaillant normalement en classe et en suivant assidûment des séances de colles de langues pour m’améliorer drastiquement sur ces exercices oraux, mais je travaillais peu les mathématiques et la physique, et je n’ai presque rien fait par moi-même pendant les périodes de révisions (déjà 1 % de plus que l’année précédente).

_____Peut-être est-ce un gâchis, étant donné que j’ai quand même réussi à intégrer Télécom Paris avec un classement de 340, et que j’ai pu intégrer toutes les autres Centrales. Peut-être même que j’aurais eu Supélec sans cette bêtise et le découragement qui a suivi. Peut-être que sans tous ces problèmes, j’aurais eu la même intégration que les meilleurs de ces 3/2 que je voulais égaler, eux qui avaient ma flamme, mais pas mes problèmes.

_____Ce qui est sûr, sans “peut-être”, c’est que je ne l’ai pas fait, et que ce qu’ils ont fait forcera toujours chez moi la plus grande admiration. Je ne suis pas le personnage principal ; je le dis par cette phrase que j’aime beaucoup “à ma place, je n’aurais pas fait mieux, je n’aurais pas fait autrement”. Dans les conditions dans lesquelles j’ai été, j’aurais fait ce que j’ai fait, parce que j’étais moi et que les conditions étaient ce qu’elles étaient.

_____Je ne regrette rien, il n’y a rien à réécrire, et je suis aujourd’hui heureux et épanoui. Je dis souvent que “l’expérience est une flamme qui n’éclaire que ceux qu’elle a brûlés”, mais j’espère que ces mots vous ont assez rapproché de moi pour que ma lumière vous éclaire, et que vous traversiez la nuit.

L'aigle en Prépa
Author: L'aigle en Prépa

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